RETOUR D’EXPERIENCE
Déverouiller son boule avec le mapouka
Lucile Sauzet
14 mars 2018
J’aime bien bouger, danser ou juste me remuer librement, sans penser à l’aspect visuel. C’est-à-dire que j’aime danser sans lien avec aucune forme de représentation. En 2015, je suis allée à mon premier cours de “Booty therapy”* ( thérapie par les fesses ) avec mon esprit curieux et un peu provocateur. Dans ma recherche d’expérience corporelle, j’avais envie de rencontrer des danseurs qui parlent autrement du mouvement.
Consciente que les fesses sont à la mode, je me suis lancée dans l’expérience. Ces moments sont une exploration de toutes les danses qui mettent en mouvement le fessier ou une occasion de “bouger son boule” ou de “kiffer son corps”. Face à la pauvreté de langage associée à ces mouvements complexes, je n’analyse pas mais danse. Je m’ouvre petit à petit à l’énergie de ce groupe surexcité. Parmi les danses abordées, le twerk ou le mapouka. Cette dernière, originaire de la Côte d’Ivoire, prône le mouvement libre des fesses. Il consiste en la décontraction des muscles fessiers tout en agitant le bassin. Il faut tout d’abord se mettre dans une posture propice, prendre conscience de l’état de ses muscles, puis les dissocier du bassin. Actions difficiles à réaliser, car dans mon esprit d’occidentale, qui valorise la fermeté, une fesse en l’air, décontractée est flasque et peu élégante. Mais, après tout, je ne suis pas venue pour l’élégance. Contrariée de me prendre en flagrant délit d’aspiration au canon de beauté occidental, j’opte pour la dérision. L’objectif est de libérer le mouvement fluide et non maîtrisé du fessier.
Le mapouka, selon Maïmouna, se pratique dans de multiples postures ( à quatre pattes, en grenouille, en champignon, en crêpe, en poirier ou en chandelle ), et est plus ou moins dur à exécuter. Je me rends compte à quel point cette masse graisseuse est mal jugée dans notre société. Lors de mes premiers essais, je ne ressens pas vraiment un blocage, mais je ne ressens rien. Rien ne bouge. Ces mouvements sont si loin de mon approche du corps. Puis, le premier mouvement libre de la masse décontractée entraîne le deuxième, puis l’élan pris, le mapouka commence. J’oublie l’énergie nécessaire à déployer pour se mettre en mouvement et relâche les tensions dans un ressenti inédit pour moi. Le mouvement est tel qu’il m’entraîne. Je lâche prise. Je sens que quelque chose se passe, difficile à décrire : ça circule, ça relâche, ça libère. J’éprouve mon bassin se déverrouiller, ce qui est directemement lié à un sentiment de fluidité et de circulation. Je ressens toute la matière de mon corps bouger librement, sans même la commander. Je ressens le mou de mon corps.
Lucile Sauzet, est designer, formée à l’ENSCI-Les Ateliers. Passionnée par les pratiques qui impliquent le corps en mouvement, sa pratique de la danse nourrit son métier de designer, qui constitue beaucoup à chercher et expérimenter sur la notion d’usage. Elle est co-fondatrice de Fluxinitiative.
* Modèle déposé par Maïmouna Rouge Coulibaly.
Crédit photo : Nicolas Delhaye et Booty therapy, 2015
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…Ils partagent et questionnent leurs réflexions, intuitions ou ressentis sur les thèmes : faire penser le corps, penser l’ondulation, ressentir les frontières corporelles, pétrir le corps, penser la respiration, déverrouiller le bassin et enfin penser la circulation. Ces réflexions mêlent le vécu et l’expérience, en immersion, à des références théoriques, en surplomb.