Mollement

Mémoire de recherche à l'ENSCI-Les ateliers. Méthode en surplomb puis méthode en immersion jusqu'au Manifeste du Mollement.

Travail de recherche réalisé pour le diplôme de Création industrielle en 2017 à l'ENSCI-Les Ateliers, accompagné par Pascal Dreyer.

Texte intégral ici

Là-dedans, tout est corporel.

Sont corporelles mes intuitions, mais aussi mes investigations puis enfin mes intentions. Ma première intention est de réfléchir à la dimension corporelle dans le design, dans les usages et la conception des objets, mais aussi dans le corps. Peut être est-ce évident que la dimension corporelle est liée au corps, mais faisons comme si aucune évidence ne subsistait au com- mencement.

Cette dimension corporelle est intimement liée à la rencontre avec la matière. Molles, abstraites, cassantes, déformables ou imprévisibles, elles sont les matières premières de la conception. Mais alors pourquoi le design est-il si peu corporel ? J’ai l’impression que le corps est une donnée fixe et objectivée dans laquelle je ne me retrouve pas. Selon moi, le corps tend vers l’objet là où nous aurions plutôt intérêt à faire tendre la conception des objets vers des corps, ancrés dans le monde du vivant.

Qu’est-ce qu’une conception véritablement corporelle ? Une conception où le corps n’est pas un modèle paramétrique, mais un être vivant fait de matière sensitive et pensante si difficile à modéliser en raison de sa complexité et de sa richesse ?

Ma première intuition est de déplacer l'approche de la conception de l’objet vers la conception d’une rencontre entre corps et objet. Dans cette perspective, le corps et l’objet sont parties prenantes équivalentes de l’interaction. Nous sommes donc face à une relation de réciprocité, l’un impacte l’autre, et réciproquement. Ce déplacement me paraît indispensable à la conception véritablement adaptée à ses usagers.

Ce pas de côté, a priori peu engageant nécessite de faire glisser la perception du corps idéal, maîtrisé et stable, vers la perception d’un individu qui évolue en fonction de ses rencontres et qui fait évoluer son environnement. Ces déformations à double sens requièrent une méthode de conception adaptative qui prend en compte les interactions. Facile à dire, et pourtant ce n’est pas toujours ce que je ressens ni en tant qu’usager ni en tant que designer. Peut-être car cette démarche n’est pas compatible avec les outils communs des designers. J’ai observé une manière de faire du design par la simulation informatique, grâce aux logiciels 3D, qui exclut complètement la dimension corporelle. Sans avoir à éprouver les formes dessinées, le corps est impliqué dans la conception comme une donnée technique. Ce cas limite peut être perçu comme un gain de temps, si cette méthodologie est rodée et non remise en question. Elle incarne aussi un fantasme d’objectivation idéale, qui permettrait une conception rationnelle et universelle. Cette aspiration participe à la dissociation entre le designer et son corps, ce qui lui ferme les portes de la conception sensible.

Par cette démarche de recherche, je cherche à appréhender la place du corps dans ma démarche de conception, mon corps et celui des usagers. Tel un élastique, nous allons nous étirer sur et au dedans le corps pour mettre à l’épreuve nos évidences et déplacer notre perception du corps, portée par un dualisme culturel et abstrait qui sépare le corps et l’esprit, et par extension le physique et l’intellectuel. Je vais tenter de vous communiquer mon enthousiasme envers l’intérêt d’une attention plus engagée dans une pratique immersive du design.

Pour cheminer vers une approche de la conception corporelle, j’entreprends des déplacements. En choisissant un nouveau point de vue, je récolte de la connaissance depuis une base non polluée par des évidences et l’assemble autrement. Pour cela, j’établis une phase d’analyse en deux temps et deux entrées, qui correspondent selon moi à deux manières d’obtenir du savoir. Opposées et complémentaires,elles impliquent la mise en place de méthodes précises pour obtenir une connaissance spécifique et ancrée.

La première est la découverte d’un objet corps inconnu. Une méthode en surplomb me permettra de m’extraire de mon propre corps pour modéliser le corps selon des données expérimentales, dans une approche discursive. La deuxième méthode entre dans le sujet corps, à l’intérieur de l’individu pensant. Étant moi-même un cas d’étude, je développerai une méthode en immersion pour obtenir du savoir depuis mon propre ressenti. Forte de cette analyse à la fois théorique et sensible, je proposerai une approche ou plutôt une posture de la conception corporelle, je le ferai mollement.

Voir un entretien de Lucile Sauzet mené Pascal Dreyer sur les matières molles sur le site de Leroy Merlin Source ici)